On distingue le monde de deux manières : Le Blanc, et le Noir. Le Ying et le Yang. Mais comme l'indique la représentation de ce dernier, il y a toujours quelque chose à l'intérieur qui fait office de contraire. Dans l'ombre se cache la lumière, dans la lumière se cache de l'ombre. Certaines personnes pensent pouvoir vivre une vie démunie de tout malheurs en ne côtoyant qu'un seul côté de cette indiscutable vérité, résultant en une tragique existence. Il est difficile aujourd'hui, de prouver à quel point il est stupide de ne vouloir que le bien ou le mal. Aucun humain n'est immunisé aux événements, bons et mauvais. Notre passé nous change, modifie notre conscience, de manière à ce qu'elle se protège de manière automatique contre les erreurs commises, comme un échec que notre subconscient tente de ne pas revivre. Malgré ça, voilà ou se trouve notre part intérieure qui symbolise le contraire de nos objectifs. Personne n'est immunisé contre la haine, ou l'amour, pour la simple et bonne raison qu'aujourd'hui, ce sont ces sentiments qui nous caractérisent. C'est ce qui fait de nous, des humains, des hommes, mais aussi les créatures les plus fragiles qui puisse exister.

C'est ce que Ikou, le père de Yin, racontait souvent à sa seule fille, dernière membre de sa famille encore en vie. Elle fêtait ses 13 ans et comme tout les jours, ils étaient seuls. Les recherches et techniques de cet homme étaient, pour la majeure partie, de pures hérésies. Car cet homme qui hurlait souvent "la faiblesse de l'homme est causée par ses sentiments", essayait tant bien que mal de séparer le point noir de l'océan blanc. Sa seule solution était de sceller, physiquement, mentalement, toute notion de côté négatif, afin de ne conserver que le bon côté des choses. Mais, toutes ses tentatives étaient vouées à l'échec, pour diverses raisons plus ou moins logiques. La nature est faite ainsi, il est idiot de vouloir la contredire, et de vivre selon des règles différentes. Ikou entretenait de bonnes relations avec différents magiciens en tant que médecin spécialiste dans l'art des "sceaux", une magie méconnue qui pouvait servir à de bien nombreux objectifs. Aussi étrange que cela puisse paraître, certaines de ses créations permettaient d'enfermer des blessures dans une représentation tribale dessinée, de manière temporaire, pour pouvoir se battre plus longtemps. Cette création absolument hérétique mais utile servait à la guerre, devenue à la foi un gagne-pain, une méthode de survie, mais dans de plus rares cas un simple plaisir sadique. Ikou s'en moquait, son objectif était unique et ses méthodes n'avaient pas de limites, tout comme son imagination. Ce jour d'anniversaire, censé être une fête d'envergure pour Yin, était devenu un jour plus que banal.

La relation Père/Fille entre Yin et Ikou était au beau fixe, à savoir dérisoire. Le père travaillait sans cesses pour ses recherches, tandis que la jeune demoiselle se contentait de lire des livres, démunie de toute relation sociale. Il arrivait que des magiciens qui passaient à leur cachette pour se fournir en objets et informations discutaient avec Yin, ce qui la comblait de joie malgré leur faux sourire teinté de rouge sang. Mais, cette soirée de ses 13 ans, quelque chose de plus allait faire office de cadeau. Yin y était habituée, mais elle servait plus de cobaye à son père que de fille, ce qui l'attristait pour la majeure partie du temps. Une idée lui était venue, à force de tentatives de compréhension, qu'elle pouvait lui être utile et qu'il serait heureux ainsi, que les seuls moments qu'ils pouvaient passer ensemble était ce temps ou il se servait d'elle pour tester ses nouvelles créations. Aujourd'hui, cette nouvelle idée lui aura coûté la vie.

- Yin, j'ai terminé. Je crois bien que... Ce sceau est l'apogée de mon génie. Mais tu dois comprendre que je ne pourrais le poser qu'une seule fois. Il y a plusieurs raisons à ça, mais... Je voudrais te présenter quelqu'un. Vous pouvez le faire entrer, Harry.

Un homme assez vieux, barbu et mal en point fît irruption dans la salle, portant avec lui un enfant en bas âge, il devait avoir environ 5, ou 6 ans. Le garçon avait d'incroyables yeux, d'un bleu sans fin, on pouvait facilement s'y perdre, c'était la première chose qu'avait remarquée Yin. Puis, au fil des minutes, le père expliqua à sa fille ce qui allait se passer. Le garçon allait rester ici avec Yin, elle devait s'occuper de lui et l'aider à grandir, lui fournir une éducation, c'était une manière de la responsabiliser, mais aussi de lui donner quelque chose d'utile à faire. Il y avait d'autres raisons, mais toutes n'avaient pas été données, pour suivre une logique indiscutable : Quelque chose arrivera, lorsque le temps le décidera. C'est après la rencontre avec ce jeune garçon, que la dernière expérience se mit en route.

Allongée sur le ventre sur une table de pierre tout à fait inconfortable, dos à l'air, Yin patientait. Son père préparait sa dernière invention, et l'on pouvait supposer qu'elle avait des conséquences énormes. Ikou n'aurait jamais abandonné à l'apogée de sa science, pas même pour tout l'or du monde, il cachait quelque chose, Yin s'en était rendue compte, mais ne disait rien, car tel est la volonté de son créateur. Après de longues heures de préparations, l'expérience pouvait enfin commencer. L'homme mit ses mains sur le dos de sa fille, avant de prononcer de longues phrases sans réelle logique. C'était sa manière de se concentrer, propager des mots, rites, histoires, afin que rien ne puisse déranger son travail, qu'aucune impureté ne fausse la tentative. Puis, a la fin de ses mots, ses mains se mirent à briller, avant de pousser un cri de douleur terrifiant. Yin se retenait, elle ne pouvait pas l'arrêter, pas après tant de temps sacrifié à son travail. Puis, la douleur fût transmise à la fille, comme si chaque membre de son corps lui était arraché un par un, lentement, sans pouvoir lui prodiguer l'inconscience. Une torture éternelle de deux heures, un sceau qui avait du mal à être posé sur sa fille, un père déchiré par la vue de sa fille souffrant d'un mal véritable, voilà à quoi ressemblait cette terrible scène. Puis, après ces deux heures de longues souffrances, le sceau venait d'être posé. Yin se sentait différente, vide, ou plutôt, dans l'incapacité de.. voir.

Affolée, elle se mit à poser les mains partout, pour comprendre d'où venait sa cécité, pleurant à chaudes larmes sur cette table de pierre toujours aussi inconfortable. Le père prit sa main, avant de lui expliquer le but de tout ceci. Ce sceau symbolisait la "Cage à Ombre". Afin de retirer toute l'impureté de sa fille, le père a sacrifié son propre côté sombre pour enfermer celui de sa fille dans un sceau disposé sur son dos. Mais, les conséquences promettaient d'être lourdes, comme l'arrêt de croissance, la perte de nombreux pouvoirs propres à l'homme, ou encore l'impossibilité de forger son corps, ou de se battre avec. Le pire était la perte de vue, un imprévu qui arrachait des larmes de honte à un père déçu de son propre travail, de ses propres convictions. Il avait échoué, pour lui, pour sa famille, pour son avenir. Il savait qu'il ne lui resterait que quelques années à vivre, tout au plus, et se mit à expliquer tout les détails de ses travaux à sa fille, ou du moins la raison qui l'a poussé à faire tout ceci.

Cet anniversaire, Yin s'en souviendra toujours. La première chose qui lui est venu à l'esprit, était ceci : "Je ne pourrais plus revoir ces yeux d'un bleu similaire à l'océan". C'était un sentiment étrange et inexpliqué, mais Yin se sentait différente, comme arrachée à un destin et pendue sur un fil tout à fait différent, comme si... quelqu'un avait modifié son avenir, qu'il lui avait donné un sens contraire. C'est seulement quelques années plus tard, que son monde se mit à tourner réellement.



Mon père m'a livré tout les secrets liés à ce fameux sceau qui m'a par le passé, prodiguée la cécité. Il devait me permettre de répandre la paix sous la forme que je le désirais, comme ma mère l'aurait souhaité. Je n'ai pas eu la chance de la connaître, pour des raisons qui m'échappent, mais je ne pense pas qu'elle ait été dirigée par le mal d'une quelconque manière. Mon corps s'est arrêté de grandir depuis ce jour, et la seule chose dont j'ai le souvenir est mon visage face à un miroir traître. J'ai 21 ans aujourd'hui, sans que mon physique n'en soit changé. C'est à la fois une bonne chose et une mauvaise chose... Car n'importe quelle personne ne connaissant pas mon histoire pourra déduire des choses comme... "Elle est immortelle", ou "Elle connaît les secrets de la jeunesse éternelle". C'est loin d'être le cas, pourtant. Je suis bien plus fragile que ce que les gens peuvent imaginer. Il m'est impossible de travailler mon corps pour qu'il soit plus résistant, plus rapide, plus fort, ma seule arme en ces temps de guerre, c'est cette matière que j'ai réussie à créer grâce à ce pouvoir légué par mon père. Il me permet de créer, selon ma propre imagination, un monde tel que je le désire. Ce n'est pas de la vanité, encore moins une méthode de destruction ou un moyen pour recréer le monde à l'image qui me plait. Je sais dans quel but, tout ce que je possédais m'a été enlevé, pour ne me rendre qu'une seule possibilité d'évolution. Mon humanité n'a pas été changée, au contraire, je pense pouvoir comprendre les mentalités de chacun, à tel point que ça m'effraie.

Mais j'avais besoin de quelque chose de plus, une entité capable de me soutenir, une assurance. Au fond de moi, quelque chose me disait "Un jour, tu seras seule". Je voulais éviter cette situation, cette peur incommensurable de la solitude, de perdre à nouveau la vue, celle que Yang m'offrait, le peu de couleur dont j'avais droit. Yang connaissait, grâce aux études de mon père, une méthode pour invoquer une sorte d'animal protecteur pouvant servir à de nombreuses choses, principalement d'ami. C'était peut-être la solution pour fuir ma peur d'être seule, une canne sur laquelle m'appuyer pour continuer à marcher. J'ai suivi ses instructions, après qu'il ait eu quelques bonnes heures pour préparer une sorte de rituel. C'est là qu'une seconde peur s’immisça en moi, celle de reproduire l'expérience menée par mon père et de perdre à nouveau quelque chose, malgré l'assurance de Yang sur le fait que tout soit sans danger. Il me fit un récapitulatif de ce qui allait se passer et quel était mon travail, tout me semblait plutôt simple à réaliser, peut-être un peu trop. En prenant place sur le premier cercle magique dessiné par Yang, je me mis à penser à diverses choses, essayant de trouver ce qui d'après-moi, fût l’événement qui m'étais le plus cher. C'était un exercice difficile à mettre en pratique, mes pensées divaguaient uniquement vers ce qui m'avait le plus affectée, mais en mal. Il m'était impossible de ne pas oublier cet unique moment ou tout avait changé, ou ma vue m'avait quittée, avec tout le reste. Que me restait-il ? Pourquoi ? Pourquoi... moi ?

C'est alors qu'en voyant mon air absurdement triste, Yang s'approcha de moi pour me serrer dans ses bras, dans l'espoir de me réconforter. Sans dire un seul mot, un simple contact suffisait. C'est alors vers lui que mes pensées s'étaient tournées. J'avais de la chance... J'étais même heureuse de l'avoir auprès de moi. C'est alors que le cercle se mit à s'agiter, avant de se calmer. Pour moi, rien n'avait changé, je ne voyais aucun changement. Quelques secondes plus tard, quelque chose se mit sur mon épaule, plantant de petites griffes acérées sur celle-ci, m'arrachant un léger gémissement de douleur, avant que quelque chose n'apparaisse à mes yeux. L'oiseau, en lâchant un petit cri, m'avait offert une chose que mes rêves même ne pouvaient plus me montrer. Je pouvais voir, très faiblement, à nouveau. Une vision minime, voir même quasi inexistante, de simples formes, des traits blancs difformes mais bien présents. Des larmes de joie coulaient le long de mes fragiles joues, j'étais fière de pouvoir accueillir un nouvel ami dans notre petite bande. D'après le jeune homme, c'était une hirondelle blanche, aux yeux d'un bleu perçant. Tout prenait un certain sens.

Yang a désormais 14 ans, il doit être plus grand que moi, ses yeux doivent briller de plus belle et pourtant, je ne suis toujours pas capable de les observer. Il m'accompagne chaque jour de ma vie comme le ferait n'importe quelle personne dévouée, mais j'imagine que c'est plus que ça. Nous entretenons un lien fraternel, ou peut-être maternel, qui sait. Depuis la mort de mon père, nous ne faisons que fuir sans aucune réelle destination, ce depuis 2 ans maintenant. C'est ce jeune garçon qui me guide désormais vers l'avant, mon oiseau ne m'aide qu'à éviter les obstacles, comme n'importe quel animal élevé pour ça le ferait. Aujourd'hui, nous avons fait une longue marche afin d'éviter de nombreux brigands, probablement des marchands d'esclave ou quelque chose dans le genre. Je ne sais pas encore me battre, et je n'ai pas le contrôle nécessaire sur mon pouvoir pour protéger mes semblables. C'est la raison pour laquelle Yang me protège, il.. considère sa présence avec moi comme un "coup du destin", quelque chose d'irréfutable, comme si sa destinée était de me suivre jusqu'à la fin de nos jours. J'ai du mal à me faire à l'idée qu'une personne me serve sans réel intérêt, j'ai tendance à confondre ce genre de comportement à ceux des animaux sans aucun maître, à suivre la première personne qui oserait lui donner le moindre morceau de viande. Mais c'est une vision cruelle de ce jeune garçon plein de bonté.

Nous nous sommes arrêtés à un autel en pleine nuit, c'était un point parfait pour se reposer sans risque puisqu'il était entouré par une foret de bambous, tel que l'oiseau me le montre. Nous étions assis face à un tout petit lac derrière l'autel, mais je ne pouvais pas voir la beauté du lieu autrement que par les mots et mon imagination. Il est difficile d'imaginer la vie d'une aveugle, n'est-ce pas ?



Nous restions ainsi face à ce lac reflétant de nombreuses étoiles, silencieux. Je pensais à de nombreuses choses, tel que la manière dont la vie passe, les choses que nous avions traversés... seul le bruit des oiseaux me permettait d'imaginer cet environnement qui me semblait unique. Puis, prise d'un élan de mélancolie, je me suis mise à parler à Yang.

- Dis... Je sais que ça va te paraître étrange, mais il y a quelque chose que je dois te dire. Mon père me disait autrefois, que ma mère désirait la paix plus que tout au monde. Comble de tout ça, elle est morte à ma naissance, pour une raison qui m'échappe. Je me demande si... Cette paix qu'elle désirait ne m'a pas été transmise, par ma mère en me donnant la vie, puis par mon père, en livrant le fruit de ses espoirs à sa seule fille au prix de sa propre vie. Tu dois trouver ça absurde.

- Loin de là, répondit Yang en posant sa main sur l'épaule de Yin, tout sourire, je pense que c'est la plus belle chose que les parents peuvent offrir à leur enfant : transmettre leur rêve. Pour moi, tu est tout à la fois. Une mère, une sœur, une amie, mais aussi une inconnue. Je ne peux pas comprendre ce que tu ressent, ça doit être une question d'âge mais... Tu a quelque chose de plus, une sorte d'aura qui force les gens à être attirés par toi. Ça a été le cas pour moi lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois. J'étais très jeune à cette époque, mais j'arrive à m'en souvenir clairement. Je t'aiderais à réaliser cet idéal de paix que toi et tes parents désirent, car c'est grâce à vous que je suis encore en vie aujourd'hui. Tu ne le sais peut-être pas... mais, j'ai été abandonné par ma famille lors d'une guerre entre certains clans. C'est ton père qui m'a recueilli, malgré les difficultés qu'il vivait. Je ne saurais pas dire s'il avait des arrières pensées, comme tester ses créations sur moi, mais je lui devais la vie, ça ne me dérangeait pas plus que ça, tout comme toi.

J'avais un sourire non dissimulé qui augmentait au fil de ses paroles, elles étaient réconfortantes. Je n'ai jamais pu expliquer une telle maturité à un si jeune âge chez Yang, comme s'il grandissait plus vite que moi. Mes yeux fixaient le ciel, sans pouvoir percevoir la lumière des étoiles, tout en écoutant le discours de l'homme qui était à côté de moi. Je ne peux plus le considérer comme un enfant, ou comme un animal, il a dépassé le stade de simple personne aux idées basiques. Ça peut paraître idiot, mais j’idolâtre ce garçon. Il arrive à surmonter les difficultés sans se poser de questions et passe à travers les murs de la vie sans ralentir le pas. C'est un exemple, peut-être même une légende. Ses paroles réconfortantes m'arrachaient des larmes, à la fois de joie et de tristesse. Il se mit à me regarder avec un air gêné, puis au fur et à mesure, avec un sourire attendrissant. Il comprenait petit à petit ce que je ressentais, à quel point mes sentiments étaient confus. Mais quelque chose se débloqua en moi, comme une étincelle qui avait allumé un feu inextinguible. C'était la flamme de la volonté, celle qui pouvait me permettre d'avancer au même rythme que lui, de suivre ses pas et d'atteindre mon rêve, celui de mes parents.

Au même moment, un bruit se fit entendre tout autour de nous, dans la foret de bambous. Inquiet, Yang m'aida à me relever pour que nous puissions commencer à fuir discrètement par là ou nous sommes venus. Manque de chance, nous étions déjà encerclés par ces brigands qui nous poursuivaient depuis plusieurs semaines déjà. Dans l'impossibilité de nous enfuir, nous nous sommes rapprochés du petit lac, jusqu'à que nous ne puissions plus faire marche arrière. Les brigands s'approchaient de plus en plus, je pouvais les entrevoir grâce à cet oiseau qui trône sur mon épaule droite. Il envoyait régulièrement des ondes sonores extrêmement élevées que moi seule pouvait percevoir, une sorte d'écholocation, qui m'aidait généralement à me diriger. Il se mit soudainement à pleuvoir, brouillant par la même occasion la seule vision que j'étais capable d'obtenir, me rendant à nouveau totalement aveugle. J'avais peur, peur de ne pas pouvoir survivre, de ne pas pouvoir réaliser notre rêve, peur de les perdre, mon rêve... et lui.

Yang se mit face à moi, pour empêcher les malfrats de s'approcher de moi, fermement décidé à me protéger au péril de sa vie.

- Il faut que l'on trouve un moyen de s'échapper... Mais tu n'y arrivera pas avec moi dans les pattes. Fuit, Yang. Tu pourra y arriver sans moi, j'en suis certaine. J'arriverais à me débrouiller ici, tu devr...

- N'Y PENSE MÊME PAS ! Cria soudainement Yang, sa voix étant légèrement tremblante, comme perturbée par les sanglots. C'est toi qui va fuir. Je vais rester ici et les retenir pendant que tu t'échappe. J'ai une idée, mais tu va devoir me faire confiance.

Je ne pouvais pas arrêter mon compagnon dans un état tel que celui-ci. J'avais beau essayer de le retenir, de verser des larmes, crier, tomber à genou... Il ne voulait pas me suivre, pour lui, sa vie était prête à être sacrifiée pour mon bien. Je ne le voulais pas, bien entendu, même s'il est à la porté de chaque être humain de profiter d'une telle situation pittoresque en temps de conflit. Puis quelque chose se produisit. Il me prit dans ses bras, pour me serrer fort contre lui et me parler un court instant.

- Peut-être que ça ne t'aidera pas mais... Je vais te dire une dernière chose sur moi.

Il se mit à décrire son visage dans les moindres détails, ses couleurs, cheveux, yeux, joues, tout. J'avais du mal à comprendre le but de tout ceci, dans la panique la plus totale. Mes larmes m'empêchaient de rester lucide, cette situation était cauchemardesque, ou peut-être proche d'un compte de fée. Il n'y a rien de plus chevaleresque dans un monde d'horreurs qu'un tel geste de compassion. Vous pouvez trouver ça stupide, sans aucun sens, mais pour moi, c'était beaucoup plus juste, beaucoup plus beau. Mes larmes ne pouvaient pas s'arrêter de couler à chaque mot qu'il chuchotait à mon oreille comme si c'était les derniers, c'était bien trop pour moi, probablement encore plus pour lui. Ses derniers mots étaient les plus douloureux.

- Je suis... Désolé, Yin. Je ne pourrais pas t'aider à réaliser ton rêve. Mais j'ai confiance en toi. Ce rêve que nous partagions... fait le devenir réalité. Et surtout, merci. Merci du fond du cœur, d'avoir été la famille qui m'avait été arrachée. J'ai passé de magnifiques années avec toi. Surtout, ne m'oublie pas, n'oublie jamais à quel point le rêve que tu porte sur tes épaules est important. Nous te soutiendrons, moi et tes parents, tant que tu nous garde au fond de toi. A toi de te faire ta propre image de ce monde que nous désirions. A la prochaine, Yin.

C'est sur ces mots qu'il se releva, m'aidant à me relever aussi, pour me soulever et m'envoyer dans ce petit lac proche de l'autel. Je ne pouvais pas respirer, je ne pouvais pas voir, entendre, sentir, tout mes sens m'avaient été retirés. Il ne me restait qu'un goût amer, celui de la tristesse, le goût du sang, mon propre sang coulant des lèvres que je me suis mordue de honte. Je n'avais plus rien, pour moi, tout était terminé. Cette eau dans laquelle j'étais en train de couler allait prendre la dernière chose qu'il me restait, cette once de vie qui me chuchotait... "N'abandonne jamais". Cette once de vie possédait un visage, une chose que je pouvais étrangement voir, dans ce monde de ténèbres. Une rose blanche aux yeux bleu.






L'air semble empli de quelque chose de lourd, mélancolique. Il transporte avec lui, la nostalgie d'un monde coloré et vivant. Parfois frais, parfois chaud, la sensation qu'il procure lorsqu'il percute votre corps est différente pour chacun. Chaque instant, passé ou futur, détermine l'émotion que vous ressentirez au contact de cette chose immatérielle. Une étrange créature, étalée au bord d'un lac, observe le ciel. Celle-ci ne semble exprimer aucune émotion, son visage fade et dénué de sentiments, ne donne aucun signe de vie. L'oiseau, chantant habituellement sur son arbre accompagné de ses proches, reste silencieux, juge la créature. Elle pourra observer le ciel des jours entiers, jamais il ne lui sera possible de l'atteindre. Ce n'est qu'un rêve et même s'il reste silencieux, l'oiseau rit. Mais il ne sait pas... Que cette abomination telle qu'il l'imagine, n'aura plus jamais l'occasion de voir cette infinité dans les cieux.

Le lac, bordé par une bien faible cascade, ne génère plus aucun son, puis juge la créature à son tour. Celle-ci, allongée sur le fruit de son dur labeur, gâche le paysage par l'atrocité qu'elle représente. Pour lui, cette chose n'égalera jamais cette si belle terre, même réduite en poussière. Mais il ne sait pas... Que cette fille étalée sur ce champ de fleurs aux milles couleurs, n'aura plus jamais la chance de distinguer les couleurs. Bercée par le vent, celle qui semble avoir perdue toute vie, porte un goût amer sur ses lèvres. Il lui est impossible de savoir pourquoi, ni comment son histoire est écrite ainsi. "Avoir le contrôle de son propre destin, est-ce une rêve si irréalisable ?", se dit-elle. La nature rit à son visage, croyant à son tour que le futur n'est qu'une succession de choix. La fille aux cheveux blancs, mouillée d'eau et de larmes, se relève lentement, révélant de nombreuses fleurs écrasées sous le poids de son passé. Elle ne pourra pas s'excuser auprès de la nature, déjà furieuse de l'existence d'une telle monstruosité. Mais dans un élan de compassion, celle-ci lui offre le droit de fuir loin d'ici, à l'aide d'un morceau de bois posé sur le sol, aux pieds de la chose immonde. Le fidèle compagnon de la fillette, une hirondelle blanche, se pose sur son épaule, comme pour la guider. C'est un ami, un frère, une famille, qui l'aidera à franchir les obstacles, il sera ses yeux. Ainsi, le périple de Yin commença.

Au milieu de cette forêt, l'étrange oiseau traverse les arbres lentement, afin d'aider son maître à trouver le bon chemin. L'environnement hostile n'est qu'un enchaînement de défis, d'épreuves forçant Yin à survivre pour lui donner un but, un endroit ou aller. Même si les arbres se moquent d'elle, qu'ils posent un pied sur le côté pour la faire tomber, celle-ci se relève et continue de marcher. Elle est décidée à suivre celui qui l'aide à se relever, cette hirondelle blanche aux yeux bleus. De nombreuses questions se posent dans sa tête, peu trouvent des réponses. La vie est-elle si facile à remettre en cause ? Peut-être. Mais tout le monde ne voit pas les choses ainsi. Certains, ne voient pas, tout simplement. Lorsque la plus difficile de ses interrogations trouve une réponse, un rayon de lumière semble se montrer, réchauffant le visage de Yin, comme si elle était enfin sortie de cette forêt moqueuse. Mais... Les années sont passées.

Sur ce chemin au centre d'une plaine, le soleil pèse, il voudrait la voir s'arrêter de marcher, rire d'elle. Il juge la créature. Celle qui pense avoir trouvé les réponses les plus importantes, voudrait traverser ce champ de fleurs qu'il a arrosé de lumière divine ? Pour lui, il est impossible qu'elle puisse survivre à la vie qui lui est destinée par la simple force de la volonté. Mais le soleil ne sait pas... Que la volonté est quelque chose qui lui a été enlevée par ce côté manquant de son âme. Ce sceau noir qu'elle porte dans son dos, lui fait affreusement mal. Malgré la douleur, Yin persiste à marcher vers l'inconnu, dans l'espoir que ses mains puissent à nouveau tenir le visage de celui qui lui a sauvé la vie en échange de la solitude. Meurtrie par la faim et la soif, la fille tombe à genoux, observant le ciel de ses yeux violets vitreux, absents de toute vie. Elle ne voit rien. L'espoir commence à se perdre petit à petit, jusqu'à que l'oiseau blanc dépose dans ses mains quelques secondes plus tard, du pain. Il l'avait peut-être volé, ou trouvé, mais son geste signifiait que l'aventure n'était pas encore terminée. Reprenant à nouveau ses esprits, Yin prend son bâton usé par les années, se relève, et marche à nouveau. A la sortie de cette plaine, de nouvelles années s'étaient écoulées.

A travers le monde, Yin voyage. En quête de trouver le but de son existence, des réponses à un passé meurtri par le doute et l'absence de choix, Yang. Qui sait ce que l'avenir lui réserve.