J'ai toujours cru que j'étais née sous une belle étoile. Que la vie me réservait de grandes choses. J'avais, et j'ai, la conviction que j'étais promise à un destin exceptionnel. Pourtant, rien ne m'y prédisposait. J'étais née dans une famille nombreuse dans les bas quartiers de Yazd, en Iran. Le nom qu'on m'a donné, c'est Shahrzād, Shéhérazade pour le commun des gens en dehors de ma contrée. Celle qui est née dans la ville, enfant des rues.
La maison était trop petite pour nous occuper tous, je passais le plus clair de mon enfance dehors, en compagnie de l'odeur d'égout ou justement de manque d'égout, de gamins en loques et d'une misère rampante. J'étais petite, je me rendais pas compte du sordide de la situation. Mes parents se battaient pour ramener de quoi manger chez nous, et nous, pauvres enfants, profitions de chaque instant et des plus menus bonheurs.
Ce n'est qu'après, que je me suis rendue compte de mon état misérable. Quand j'ai quitté les bas quartiers, à la recherche de trucs à voler. Là, je me suis égarée en centre-ville. J'ai vu l'insouciance des gens, et je m'y suis reconnue. Je me suis moins reconnue, par contre, dans le luxe dans lequel ils vivaient. Moi, ils me regardaient comme un étron. Juste parce que j'avais pas eu la chance de naître comme eux, ici. Et peut-être parce que je devais en avoir l'odeur, aussi.
Pourquoi eux avaient droit à ça et pas moi, hein ?
Une sorte d'amertume a commencé à m'envahir. Ils ne méritaient pas d'être là où ils étaient, et moi je méritais encore moins qu'eux d'être là où je me trouvais ! C'est que j'avais une haute estime de moi. C'est que j'étais devenue une petite terreur, du coté où je traînais. Shéhérazade, Sherah pour ceux qui avaient la chance de m'être proches, celle qui frappe aussi fort qu'un garçon, et qui est au moins deux fois plus méchante qu'un garçon !
Mais à un moment, on se rend compte que ça sert à rien. Je terrorise une bande de loques, et après ? Ça fait quoi de moi ? Pas grand-chose de plus. C'est du dépit qui m'a envahie. C'est des nuits blanches, pendant lesquels je fixais les fissures du plafond à la lumière d'un spot grésillant. Je valais mieux que ça. J'étais appelée à être une femme qui ferait de grandes choses ! Qui serait admirée, respectée et aimée !
J'avais quinze ans, pas beaucoup plus. Je m'étais trouvée un p'tit emploi dans une p'tite boutique. Ça payait pas grand-chose, mais c'était qu'un début. Ça me permettrait de payer mon voyage vers la capitale, vers Téhéran ! C'était mon rêve, monter là bas. J'étais devenue un joli brin de fille, bien propre et tout ce qu'il faut. On m'aimait bien, dans le coin !
Sherah, cette fille qui a toujours le sourire ! Toujours un mot gentil ! Ah, Sherah ! Dommage qu'elle ne soit pas ma fille, c'est pas une fainéante, elle ! Ah ! Ça flattait mon ego. Ça me faisait presque apprécier les gens. Mais ces gens, ils ne sont pas à mon niveau. Oui, d'accord, ce sont des gens simples et biens. Mais moi, moi. J'aspire à de plus grandes choses. Je suis Sherah, et j'ai la conviction d'avoir un destin exceptionnel. De devenir quelqu'un, quoi.
Mais cette petite vie là, elle s'est un peu cassée en deux sans même que j'y sois pour quoi que ce soit. Un gang de voyous, ils extorquaient le petit magasin dans lequel je travaillais. Je m'en étais jamais inquiétée, c'est comme ça que ça se passait dans le coin. Le proprio', il payait toujours. Mais ce jour-là, il a refusé de payer. Il les a menacé, et y'en a même un qu'est reparti avec le nez en sang. J'ai trouvé ça très courageux, sur le coup. J'ai mis des tapes dans le dos du proprio', on lui disait que c'était la bonne chose à faire. Une semaine plus tard, j'avais pris un jour de repos, prétextant la maladie. C'est pas que j'étais vraiment malade, mais j'avais juste pas envie de bosser ce jour là. Oui, je suis comme ça, ça vous étonne ? C'est pas un jour de flemme qui allait me faire sortir du chemin allant me mener vers mon destin !
Ce jour de flemme, en fait, s'est révélé mon salut. Les voyous sont revenus avec des fusils d'assaut et ils ont mitraillé le petit magasin. C'était vraiment moche à voir, je vous jure. Ils ont pas eu le temps de réagir qu'ils étaient pleins de trous. Plus personne félicitait l'audace du proprio', tout d'un coup. Y'avait plus que des yeux pour pleurer et des voix pour se lamenter. Et finalement, des questions se sont posées.
Tiens, c'est pas bizarre que le jour où les voyous arrivent et cassent tout, Sherah soit miraculeusement pas dans le coin ? C'est quand même louche, vous trouvez pas ? Elle serait pas de mèche avec eux ? Après tout, Esther l'a entendue un jour se plaindre de pas être assez payée ! Sherah aurait quand même pas vendu les proprios en échange d'un peu d'argent ? Ah ! Ça ne m'étonne pas, à quoi peut-on s'attendre d'une fille des bas-quartiers ? Moi je l'ai jamais aimée cette fille, de toutes façons. Elle a une tête de vicieuse, je vous le dis. Je l'ai toujours su, ah ! C'est comme ça qu'on a refilé la responsabilité de tout ça sur mes épaules, et que j'étais mise au ban de la société. Même si rien le prouvait, plus personne voulait s'approcher de moi. Plus d'emploi, condamnée à vivre à nouveau dans les taudis et la misère.
J'avais quelques économies. De quoi payer un bus pour la capitale. Mais après ? J'étais à sec, et je devrai compter que sur moi-même. Mais ça, ça, ça ne dérangeait pas. C'est ce que j'avais toujours fait. J'ai pris mes clic et mes clac, et sans dire au revoir à qui que ce soit, j'ai pris la route. Parce que je suis ce genre de filles. Agréables et joviales, mais un peu mortes à l'intérieur. Sans profond attachement à des trucs aussi volages que les gens ou les villes.
Téhéran, c'était mon rêve de toujours. Et quand j'y suis arrivée ? C'était encore plus grand que dans mes rêves les plus fous ! C'était le genre d'endroit où tout était possible, où j'avais le droit et le devoir de devenir quelqu'un ! Sauf que la réalité vous rattrapait rapidement, et la réalité était qu'ici ou ailleurs, c'était du pareil au même : de la merde. Pas d'emploi correct, à part dans des bars franchement douteux. Le genre de bar où tu crains d'être violée et violentée à chaque instant de ta soirée. J'ai fini par abandonner l'affaire, et j'ai commencé à voler les gens et leurs maisons. C'est pas que servir des coups à boire était dégradant, mais avoir embrassé un gros balourd, sans faire exprès, à une vitesse assez inouïe, avec un plateau de laiton, ne m'avait pas rendue très populaire dans le milieu.
J'ai volé et volé, mais c'était loin d'être ce que je voulais faire de ma vie. Mais une est née dans la rue, et une connait le milieu. J'ai entendu parler de combats pas très très légaux. Le genre de combats où tu pouvais mourir et où les gens gueuleraient pour montrer leur approbation. Des endroits appelant le sang. Au début, j'étais loin d'être emballée. Je vous jure, je suis pas une fille si violente que ça. Même si j'ai tendance à avoir des réactions extrêmes. Et que contempler le résultat après, ça me satisfait plus qu'autre chose. C'est comme ça que j'ai franchi le pas, je me suis présentée dans un de ces événements underground.
Les premières fois, je faisais qu'observer. Ils appelaient ça l'arène dans le milieu. Et dans l'arène, il y a deux et rien que deux personnes. Elle se jaugent, se regardent, se rôdent autour. Là, au détour d'un signal tacite, le combat s'engage. C'est à celui qui rivalisera de force et de ruse ! Mais c'est surtout le plus vicieux et celui qui a le moins de scrupules qui l'emporte, à la fin. Ici, pas droit à la fuite, les gens forment un cercle et interdisent aux lâches d'échapper à leur destin. Avant d'y être, j'y croyais pas trop. C'était un truc barbare, pour des gens un peu débiles. Mais dans le cercle ? Dans le cercle, c'était différent. Je me surprenais à gueuler plus fort que quiconque, à m'y croire vraiment.
Je me suis présentée devant un des organisateurs, je lui ai dit que j'étais chaude pour aller dans l'arène. Après tout, quand j'étais plus jeune, j'étais la terreur des gamins des rues ! Mais là, devant cet homme, j'étais qu'une ado' malingre qui impressionnerait même pas un rat. Alors il m'a jeté et m'a dit de jouer à la poupée. Et je suis revenue. Une. Et deux. Et trois. Jusqu'à onze fois. Il a fini par craquer, et m'a dit de crever dans l'arène. C'était pas mon intention. Moi j'étais là pour gagner, et me faire un nom. Pour être admirée !
Mon premier opposant m'a regardé avec un mélange de pitié et de condescendance. Il devait être au bas mot trois fois plus gros que moi, et faisait deux têtes de plus, mais c'est pas ça qui m'aurait impressionnée. En vrai, j'étais à cran. Énervée. Haineuse qu'on me prenne de haut, uniquement parce que j'étais comme j'étais. Alors j'ai gueulé. Gueulé à m'en rendre sourde. Je lui ai foncé dessus ! Et il m'a foutu un coup de poing dans la gueule.
Le seul truc dont je me souvienne, c'est qu'on m'a traînée dehors et qu'on m'a jetée dans la poussière. Je me suis redressée, difficilement. Les étoiles dansaient devant mes yeux. Là, finalement, j'ai ressenti de la douleur. Je pissais le sang, et mon t-shirt était tout dégueulasse. Mon nez était définitivement cassé, c'est sûr. Plus que la douleur, je crois que c'est ce qui m'a fait vraiment mal, c'était mon ego. J'étais une fille exceptionnelle ! Je n'avais pas le droit de me faire battre de façon aussi minable ! Non !
J'ai combattu, au total, sept fois dans l'arène, dans l'année qui a suivie. Inutile de vous dire que ça a été un désappointement de tout instant, aussi bien pour moi, la personne en face, et le cercle de gens s'attendant à un vrai spectacle. J'étais devenue un peu la risée du milieu, mais on m'autorisait à participer de temps en temps. Par pitié, sûrement. J'en grinçais des dents. Je m'égosillais, quand j'étais seule, pour évacuer toute ma frustration. J'aurai pu tout arrêté. J'aurai dû tout arrêter. Tout ce que j'arrivais à faire, là, c'était à m'humilier et à me faire du mal, aussi bien physiquement que mentalement. Alors pourquoi s'entêter ?
Je sais pas. Sûrement la conviction que c'était pour ça que j'étais née. Que c'était ça qui me permettrait de devenir quelqu'un.
Je dînais dans un restaurant de rue, quand un vieil homme s'est assis à coté de moi. On a discuté, mais c'était pas quelque chose de bizarre, après tout, j'ai le contact facile et j'aime perdre du temps en vaines discussions. De fil en aiguille, je lui ai un peu, beaucoup, raconté ma vie. Mes combats dans l'arène. Il m'a demandé si c'est ce que je souhaitais faire, et de si je me rendais compte que j'allais en mourir. Je lui ai répondu, défiante, que je ne craignais pas la mort, que la seule chose que je refusais, c'était d'être vaincue. Il a souri. Posé sa main sur mon épaule. M'a demandé si j'étais prête à tout. Je n'ai pas hésité une seule seconde, ai répondu par l'affirmative.
Le vieil homme s'est barré comme il est venu, et plus jamais je ne l'ai revu.
Je me retrouvais, encore une fois, dans l'arène. Cette fois-ci, j'étais bien décidée à prévaloir. J'avais même planqué un couteau dans mon dos ! Alors, on a engagé cette même danse. J'étais devenue plus habile, agile, il en fallait plus pour me faire mordre la poussière. Il s'est rapproché, dangereusement. J'ai dégainé, et j'étais prête à le larder. Ce que j'avais pas prévu, c'est qu'il s'y soit attendu. Qu'il se soit emparé de ma main, et qu'il se soit décidé, lentement, à me poignarder avec mon propre outil. J'ai ressenti une immense brûlure au début, je me suis égosillée, et le froid a envahi mon flanc. Quand il m'a lâché, de mon couteau je ne voyais plus que la garde. Je me suis écroulée dans un bruit pas très triomphant, et j'ai sombré.
Ah, Sherah ! La grande Sherah ! Elle qui était destinée à de grandes choses, à un avenir radieux ! On a découvert un cadavre dans les rues, dévoré par les mouches et les chiens errants ...Je dois avouer que quand je me suis réveillée, je m'y attendais pas.
Le premier truc, c'est que j'ai été brûlée par la lumière du jour. Puis, j'ai ressenti une immense douleur dans les poumons. Enfin, je me suis redressée, difficilement, comme la première fois qu'on m'avait sortie de l'arène. Toujours en vie. On m'avait poignardée, et j'étais toujours en vie. Je regarde là où aurait dû être ma blessure, et il n'y avait rien. Sauf une déchirure sur mon débardeur, là où la lame avait mordue. Un frisson parcoure mon échine. Un mauvais rêve. Ça ne pouvait être qu'un mauvais rêve. Et j'allais me réveiller bientôt.
Mais je ne me suis jamais réveillée. La réalité est qu'on m'avait tuée, et que j'étais toujours en vie.
Je suis retournée dans l'arène, et personne n'en croyait ses yeux. Celui qui m'avait lardée, il paniquait. Alors le combat s'est engagé, et cette fois, c'est moi qui ait pris tout mon temps pour lui faire goûter de mon acier. Une. Et deux. Et trois. Et dix fois. Jusqu'à ce qu'il arrête de gigoter, et que ma main en soit écarlate. Le silence s'est installé. Tous les regards étaient braqués sur moi. J'ai senti une chaleur dans ma poitrine. Et j'ai poussé un cri féral. Un cri qui a fait écho dans le cercle et qui s'est répercuté dans le souterrain confiné.
Je m'étais faite un nom maintenant et les gens m'admiraient ! Je participais à plus de combats, aussi. Étais-je devenue plus confiante ? Ai-je révélé un potentiel enfoui ? Je me battais comme jamais je ne m'étais battue. On chuchotait mes exploits sur mon passage.
Tu as le diable au corps, Sherah ! Qu'ils disaient tous. Et endiablée, je l'étais.
Les années sont passées, et ma réputation s'est forgée. On me nommait Celle-Qui-Chevauche-La-Poussière, en référence à mon trépas qui n'était pas. On me nommait la Victorieuse, l'Invaincue, pour une série de victoires inégalée dans le milieu. Je me suis sentie à ma place, pour la première fois de ma vie. Certes, parfois, c'était moins agréable. J'étais parfois clouée au lit, sanglotante, à cause d'os cassés la veille. D'autres fois, je me retrouvais dans des cliniques illégales, entourée de sueur, pourriture et de pauvres hères agonisants. Mais dans l'ensemble, j'étais heureuse. J'avais trouvé cette voie que je savais mienne depuis enfant.
Les années sont passées, et je suis morte plusieurs fois. Les autorités ont fait une rafle dans le souterrain où nous combattions, et une balle perdue m'a atteinte à la poitrine. Le lendemain, je me réveillais, la mort était chassée. Une autre fois, j'étais saoule, et un camion m'a renversée. Et encore une autre fois, dans le cercle, je me suis laissée piéger au corps à corps, et une brute a brisée mon cou. Mais le lendemain, je me réveillais, et la mort était chassée. Dieu devait avoir de plus grands desseins pour moi. Mais pour cela, il me fallait croire en lui. La seule déesse de ce monde, c'était moi et moi seule. Celle qui va et vient à sa guise, qui vit selon ses principes, et dont la force lui fait profiter de la vraie liberté.
Voilà l'histoire. Mon histoire.
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C'était une nuit comme les autres.
Je ne trouvais pas le sommeil, allongée sur mon lit. A cause des regrets ? Des remords ? D'une quelconque culpabilité ? Pas vraiment, ce genre de choses ne me concernaient pas. Alors quoi ? Alors je ne sais pas. C'était un peu le vide, en vrai. Pas de pensée particulière, juste un trop plein d'énergie que j'ai été incapable de dépenser. L'ennui faisant, je finis par me lever. Sors de la chambre et entre dans le salon, avec la flemme d'allumer la lumière. Je me dirige vers le frigo. Frigo, frigo, frigo, triste ami que tu es ! Tu me sembles si vide, si creux ! Sûrement parce que je n'ai pas fait les courses depuis un moment. Il reste, cela dit, un carton de lait, et c'est tout ce qui compte !
Mais ce qui compte encore plus, c'est la silhouette d'un vieil homme assis sur mon canapé, alors que je bois une gorgée de lactose. Lactose qui finit recraché aussi vite qu'il a été bu. Je m'étouffe, je maudis, je lance à peu près et sans exagération quatre-cent deux injures avant de me reprendre, et de gueuler franchement furieuse.
- MAIS PUTAIN T'ES QUI TOI ?!L'inconnu semble hausser un sourcil. Je crois. C'est difficile de voir dans le noir.
- On m'appelle Yulwei.Mais, étonnamment, c'est pas la réponse que j'attendais.
- JE M'EN BRANLE ! TU FOUS QUOI ICI?!Je le sens exaspéré, mais je m'en fous pas mal. J'veux dire, est-ce que je me permets de rentrer chez les gens sans leur demander leur approbation ? Certes, je l'ai fait à une époque, mais c'était différent. Ici, c'est chez moi quoi.
- Je suis venu te prévenir, et te rappeler ce que tu me dois.Devoir ? Devoir quoi ? Une colère comme rarement j'en ai ressentie me saisit à la poitrine. Devoir quoi ? Je ne dois rien à personne. La vie a été franchement injuste, et tout ce que j'ai, c'est à mon mérite que je le dois ! Alors ce vieux con qui débarque chez moi et exige des conneries de moi ? Je le défonce. J'me jure de casser tous ses os, un à un. Et après, juste après ... Je deviendrai vraiment méchante.
- Pardon ?Je chuchote, avant d'exploser, ma voix se répercutant contre les murs du petit appart'.
- PARDON ?! TE DEVOIR QUOI QUE CE SOIT ? TU SAIS A QUI TU CAUSES ? C'EST A SHERAH ! SHERAH ! CELLE-QUI-CHEVAUCHE-LA-POUSSIERE ! L'INVAINCUE, LA VICTORIEUSE !J'ai déjà fait peur à des gens plus balaises et moins vieux en disant moitié moins. Alors lui ? Lui ? Il pisserait dans son froc, s'excuserait ! Mais parfois, la vie est une pute et vous déçoit. C'est pour ça que le vieillard m'a regardé, dépité, et s'est contenté de répondre avec agacement.
- Une bande d’asociaux et de déchets flatte ton ego surdimensionné et ça te suffit pour te prendre pour Stolicus ? Ecoute moi bien, petite pute, parce que je vais te le dire qu'une seule fois : Tout ce que tu as là, ta vie, ta renommée, ton confort, c'est à moi, A MOI SEUL QUE TU LE DOIS.Je suis pas le genre de filles qu'on peut intimider facilement, mais la rage à peine contenue dans la fin de sa phrase a eu le don de me calmer, plus que le contenu de sa diatribe. Pour mon plus grand malheur, ce n'était pas encore fini.
- Tu t'es cru exceptionnelle, pas vrai ? Un magnifique petit flocon de neige, hein ? Tu crois que tout ça tu le dois à la sueur de ton front ? A tes qualités sans commune mesure ?Il eut un rire sans joie, particulièrement dégoûtant. Et moi, bras ballants, j'assiste à une destruction en règle de ma petite personne. Comme ça. Sans pression.
- Tu aurais dû mourir dans le caniveau, il y a sept ans. Mais je suis venu, et je t'ai offert la chance de te relever à nouveau. De continuer le combat, qu'importe la gravité de la défaite. Après tout, c'est toi qui l'a dit ! C'est toi qui a dit que tu étais prête à tout pour devenir quelqu'un qu'on admirerait et acclamerait ! Aujourd'hui, je réclame le remboursement de ta dette.Là, je commence à avoir un doute horrible. Je me remets en question, un peu. Et je me demande si il pourrait pas y avoir un fond de vérité dans tout le poison qu'il me gerbe à la gueule. Plus j'y réfléchis, plus ça a de sens, et un sens qui me va pas. Mais bon ... Père disait bien que la vie n'allait que dans un sens, et pas souvent celui qu'on voulait. Là ? Je le fixe, yeux plissés, tentant de deviner sa silhouette dans la pénombre.
- P'tain, mais t'es qui toi ..?Voilà ce que je finis par chuchoter. Et voilà ce qu'il me répond, sur un ton n'acceptant pas de répliques.
- La personne à qui tu vas obéir.Une envie pressante de le poignarder avec le carton de lait m'envahit. Je doute que j'arrive à grand-chose, mais, eh. Ça me démangeait d'essayer, juste pour la forme. Je le sens s'éloigner, du coté de la porte, et il s'exprimer pour ce qu'il aurait, je pense, voulu être la dernière fois.
- Demain, ils viendront te chercher. Le don que je t'ai offert n'est pas passé inaperçu, et ils voudront que tu te joignes à eux. Tu accepteras, et les suivras quel que soit l'endroit où ils te mèneront. Mais de mon nom et de l'origine de ton pouvoir, tu ne diras rien. Je reprendrai contact avec toi au moment voulu, mais en attendant ... Fais ce qu'il y a à faire.La porte s'ouvre silencieusement, et je le sens passer le seuil. Une dernière question me brûle les lèvres, alors qu'un goût de bile envahit mon palais.
- Pourquoi j'devrais te croire ?Il s'était retourné l'espace d'un instant, pour répondre d'une voix sans émotions.
- Il serait regrettable que Sherah la Victorieuse soit renommée Sherah la Défunte.Il me laisse, alors, seule dans mon appart', avec pour seule compagnie les doutes, la frustration, une profonde envie de tout casser. A la fin, je reste surtout avec la dernière, alors que je rentre dans ma chambre, plus dépitée que furieuse, laissant derrière moi un salon ravagé.
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Le lendemain, les choses se sont passées comme l'avait dit Yulwei. Ils m'ont approchée, et ils se sont présentés comme la Congrégation. Ils avaient entendu parler de moi, et du don qui avait fait ma renommée. Ils ont dit qu'ils avaient besoin de moi pour protéger l'équilibre de ce monde et de tous les autres. J'ai eu envie de me moquer d'eux. De les traiter de menteurs. Mais il était indéniable que mon don était une réalité, et qu'en conséquence, il y ait une part de vrai dans leurs fabulations.
Et surtout. Surtout. Il y avait ce doute. Le doute que ce que Yulwei avait dit, dans mon appart, soit bel et bien vrai. Je suis Sherah, une femme libre, une femme qui vit comme elle l'entend, une femme à la destinée exceptionnelle ! Mais cette fois. Rien que cette fois. J'ai décidé de laisser ça de coté, et d'accepter l'offre de la Congrégation.